24 janvier 2010

La main sur le coeur


Tes yeux m’interrogent, tristes, cherchant à pénétrer ma pensée; de même la lune voudrait connaître l’intérieur de l’océan.
J’ai mis à nu devant toi ma vie tout entière, sans en rien omettre ou dissimuler. C’est pourquoi tu ne me connais pas.
Si ma vie était une simple pierre colorée, je pourrais la briser en cent morceaux et t’en faire un collier que tu porterais autour du cou.
Si elle était simple fleur, ronde, et petite, et parfumée, je pourrais l’arracher de sa tige et la mettre sur tes cheveux.
Mais ce n’est qu’un coeur, bien-aimée. Où sont ses rives, où sont ses racines?
Tu ignores les limites de ce royaume sur lequel tu règnes.
Si ma vie n’était qu’un instant de plaisir, elle fleurirait en un tranquille sourire que tu pourrais déchiffrer en un moment.
Si elle n’était que douleur, elle fondrait en larmes limpides, révélant silencieusement la profondeur de son secret.
Ma vie n’est qu’amour, bien-aimée.
Mon plaisir et ma peine sont sans fin, ma pauvreté et ma richesse éternelles.
Mon coeur est près de toi comme ta vie même, mais jamais tu ne pourras le connaître tout entier.

Rabindranath Tagore (Calcutta 1861 - 1941) La corbeille de fruits