13 juin 2009

Les lois du coeur - La rencontre (2)


Le coup de sonnette demeura sans effet, Thomas ne se découragea pas et sonna à nouveau avec insistance. Puis il attendit, sans que rien ne se produise. Il commençait à s’éloigner quand un bruit de clé dans la serrure lui apprit que les excentriques voisins se décidaient à venir ouvrir. Tout en s’immobilisant, Thomas sourit, en pensant à la logique très particulière des Simon, fort diverti par cette pensée, Thomas pivota et demeura stupéfait. Une séduisante inconnue dans l’appartement des Simon.
Devant le regard sérieux et étonné de Déborah, Thomas prit soudainement conscience de ce que sa tenue pouvait avoir de négligé. Le vieux jean et le tee-shirt qu’il portait ce jour-là paraissaient encore plus misérables que d’habitude.
- Vous êtes une parente des Simon ?
- Pardon ? dit-elle en fonçant les sourcils.
- Leur chat s’est encore glisser chez moi par la fenêtre de la terrasse, expliqua-t-il gauchement en désignant l’appartement derrière lui.
- Oh, non ! Vous êtes sûr ?
- Euh, oui …
- Où sont les Simon ? Balbutia-t-il, intimidé. Jamais encore une femme ne l’avait tant troublé.
- En Angleterre, ils rendent visite à leur fille qui habite là-bas.
- Je plains les malheureux Anglais, remarqua-t-il, avec un sourire moqueur. Malgré l’affection qu’elle éprouvait pour le couple, Déborah ne put s’empêcher de sourire à son tour.
- Je m’appelle Thomas Forestier, enchaîna-t-il pour relancer la conversation. Je serai donc votre voisin pour quelque temps.
Un instant, Déborah hésita, puis elle serra rapidement la main qu’il lui tendit. Si le simple contact de ses doigts avait suffi à électriser Thomas, Déborah, qu’en à elle ne paraissait pas troublée le moins du monde, mais plutôt ennuyé. Le premier jour, elle avait déjà perdu Pimky malgré les recommandations de Madame Simon.
- Pouvez-vous venir chercher votre chat ? demanda Thomas.
- Oui, bien sûr !
- Merci, je suis allergique aux poils de chat, répondit Thomas.
- Si vous souffrez d’allergies, vous devriez consulter un spécialiste, lança Déborah d’un ton ironique. On fait des traitements fantastiques de nos jours.
- Je n’ai pas besoin d’aller consulter un spécialiste, rétorqua-t-il, écoutez tout ce que je vous demande, c’est de récupérer votre chat. Je suis un homme occupé, mon travail m’attend. Et il vous faudra aller le récupérer. De ce point de vue, il avait raison, mais Déborah aurait le dernier mot !
- Il se trouve que moi aussi je suis très occupée, reprit-elle sur le même ton. Au cas où vous ne l’aurez pas remarqué, je viens d’emménager et j’ai une foule de chose à faire.
- Hum, tout est relatif, fit-il d’un ton ironique.
- Oui, c’est vrai. Vous par exemple, vous n’êtes pas si mal, mais votre allure négligée vous donne un air d’un clochard, contra Déborah sur le même ton. A sa grande joie, elle vit son visage se décomposer. Puis, après un petit signe de la main, elle l’écarta et pénétra dans l’appartement de Thomas pour récupérer Pimky.
J’aurais dû deviner que les Simon ne pouvaient connaître que des gens aussi fou qu’eux. Il s’agit sans doute d’une de leurs parentes. Elle est exaspérante. Pensa Thomas, qui était encore sous le coup de la surprise. Exaspérante mais ravissante, je dois l’avouer.
Un coup d’œil à sa montre lui confirma qu’il était en retard. Le développement des négatifs sur lequel il avait travaillé s’était révélé plus long qu’il ne l’avait imaginé, il avait oublié l’heure. Puis cette Déborah, et ce maudit chat lui avaient fait perdre un temps précieux. Il aurait déjà dû être de retour à l’agence avec les tirages.
Au souvenir de son entrevu avec Thomas, Déborah se sentit un peu coupable, elle s’était emportée comme une gamine. Malgré son air négligé, il se dégageait de lui un charme viril qui ne laissa pas la jeune femme indifférente. Son profil très régulier, aux traits à la fois sensuels et volontaires dégageait un magnétisme presque troublant. D’un mouvement de la tête, elle tenta de chasser la vision de son voisin. C’était la première fois depuis sa séparation avec Colin qu’elle éprouvait une attirance pour un homme. Quelques semaines plus tôt elle avait pourtant cru son cœur briser à jamais. Et voici que déjà les sentiments renaissaient en elle… Il était donc exact qu’avec le temps tout s’effaçait, même le pire souvenir.
Qu’aurait pensé Colin de sa Normandie natale, lui qui avait toujours vécu à Oxford ? Aurait-il même eu l’idée de venir en France ? Probablement pas. Il n’avait jamais exprimé le désir d’aller en France. Pendant leurs deux années de vie commune, il avait entraîné Déborah au théâtre, au concert, au restaurant, partout où l’on s’amusait. Ensemble, ils avaient pleinement profité de ce bonheur qui semblait devoir durer éternellement, comme si rien ni personne ne pouvait les séparer. Et puis un jour, Déborah s’est retrouvée seule, et la vie trépidante de D’oxford lui était brusquement devenue insupportable.
Déborah s’était installée devant son déjeuner, ses idées furent remplacées par un sentiment fait de peur et d’excitation à l’idée du travail qui lui serait confié dès lundi suivant à la Galerie d’Art. C’est l’esprit encore enfiévré à la perspective de commencer bientôt une nouvelle vie qu’elle changea la litière de Pimky, et renouvela l’eau de son bol comme elle s’était engagée à le faire.
Assise devant sa coiffeuse, Déborah apporta la dernière touche à son maquillage, particulièrement soigné ce soir là, elle avait rendez-vous avec de vieilles connaissances. Ils dîneraient à l’auberge aux loups pour fêter son retour. Elle avait choisi un petit ensemble kaki, qui rehaussait le vert de ses yeux, le miroir lui renvoya une image satisfaisante et elle sourit, lorsque l’on sonna à sa porte. Qui pouvait bien venir la déranger à cette heure ? Un deuxième coup de sonnette la fit sursauter et c’est de mauvaise grâce qu’elle alla ouvrir.
- Bonsoir, lança Thomas d’un ton enjoué. Comme si rien ne s’était passé quelques heures plus tôt. J’ai vu de la lumière par la fenêtre et j’en ai déduit que vous deviez être chez vous. Déborah, le regardait sans mot dire, puis elle lui dit d’un ton neutre.
- Je m’apprêtais à sortir.
- Je tenais à m’excuser, dit-il.
- Vous excuser ? De quoi ? demanda Déborah.
- Pour ma conduite de cet après-midi.
- Il est inutile de vous excuser pour cela, dit-elle, j’emménageais et j’étais un peu nerveuse, j’ai pris peur quand j’ai su que Pimky avait filé.
- Si, si j’y tiens, insista Thomas qui fixa son regard. La lueur espiègle qui dansait au fond de ses prunelles de couleur Jade lui donnait une charmante expression de spontanéité, de joie de vivre.
Prenant soudainement conscience de l’intensité avec laquelle il la dévisageait, Déborah recula, mal à l’aise, mais elle ne lui laissa pas le temps de dire quoi que ce soit.
- Au fait, au sujet de Pimky, ne vous inquiétez pas, je veillerais à ne plus laisser la porte fenêtre de la terrasse ouverte.
- Formidable, répondit-il, malgré lui, il s’était remis à contempler la jeune femme. Bon sang, se dit-il mentalement, qu’est ce qui m’arrive ? Ce n’est pourtant pas la première femme attirante que je rencontre !
- Excusez-moi de vous retenir, reprit Thomas, puis sur un signe de la tête, il rentra chez lui. Mais une porte fermée ne suffit pas à chasser Déborah de ses pensées.
Au contraire de Thomas, Déborah ne songea pas une seconde à leurs entrevues ce soir-là. Les retrouvailles avec ses anciens amis furent particulièrement joyeuses. Tous parlèrent avec entrain, se racontèrent les événements marquants de ces cinq dernières années, de leurs espoirs pour l’avenir. Ce n’est qu’en rentrant chez elle, aux alentours d’une heure du matin, qu’elle se souvint de l’existence de son voisin.
Dieu qu’il semble rasant, ennuyeux même ! Au fond, je commence à croire que les Simon avaient raison de le décrire comme un être un peu bizarre, c’est dommage car il a un côté très attirant.
Déborah passa une grande partie de son week-end à redécouvrir les lieux de son enfance. Elle emprunta les petites routes entre la campagne et d’adorables villages, loin de l’agitation et du bruit. Les branches des arbres commençaient à se dénuder, toute la nature paraissait prête à s’endormir, parfaitement en accord avec l’arrivé de l’hiver. Tant que dura son pèlerinage sentimental, rien ne vint altérer sa bonne humeur, mais quand, enfin, elle alla se coucher, l’angoisse lui serra le cœur à l’idée de ce qui l’attendait le lendemain.
Après une nuit blanche, Déborah se leva et se prépara pour sa première journée de travail. Autrefois, du temps où elle habitait à Oxford, elle avait toujours pris un grand plaisir à s’habiller, choisissant chacun de ses vêtements avec soin. Mais depuis son retour, elle n’accordait plus autant d’importance à son apparence. Parmi ses vêtements, elle choisit un tailleur classique, un chemisier léger et une paire d’escarpins confortable. Pourvu que je fasse bonne impression... Allons, tout ira bien, se redit-elle pour se donner confiance. L’Art contemporain est ma spécialité et dans mon domaine, je sais que je suis très capable. Il n’y a aucune raison de s’inquiéter. Ainsi soudainement qu’il était venu, ce moment de doute disparut.
Déborah prit son sac et ses clés et quitta l’appartement. Un grand sentiment d’exaltation s’empara d’elle, il lui semblait partir à la conquête du monde.
La petite Clio de son oncle Hector l’attendait, sur l’emplacement réservé aux Simon. Thomas se trouvait sur le parking quand elle arriva. Il avait ouvert la portière arrière du côté passager et s’apprêtait à déposer du matériel sur le siège mais le bruit des pas de la jeune fille retint son attention et il tourna la tête vers elle. Ses yeux s’attardèrent sur son tailleur et la lueur admirative de son regard n’échappa nullement à Déborah, ce qui lui procura une curieuse sensation de plaisir. Je ne lui déplais pas, j’en mettrais ma main à couper, pensa-t-elle, amusée.
- Bonjour, lui lança-t-il gaiement.
Un son inintelligible lui parvint en réponse. Puis d’une voix très claire Déborah lui demanda.
- N’êtes-vous jamais tenté de vous habiller de façon un peu plus … disons, conventionnel ? Moi je ne pourrais pas supporter de porter des vêtements aussi … euh … déchirés, poursuivit-elle en s’efforçant de rester naturelle. Thomas pivota vers elle, son visage reflétait clairement son ennui.
- Certaines personnes doivent travailler, Mademoiselle … euh …
- De Montfort, Déborah De Montfort, précisa-t-elle avec un sourire charmeur. Et je sais fort bien qu’il faut travailler pour vivre. Pourquoi pensez-vous que je suis habillée de la sorte ?
C’est avec plaisir qu’il l’aurait remise à sa place, mais un reste de bonne éducation l’empêcha de le faire.
- Pour être franc, on dirait que vous allez à la noce, déclara-t-il en la détaillant de la tête aux pieds.
- Et vous, on dirait que vous comptez vous rouler dans la boue ! répondit-elle d’un ton sec.
En dépit de son irritation, Thomas n’était que trop sensible à la beauté de Déborah, même son air hautain ajoutait à sa séduction, mais elle était l’exact opposé de ce qu’il recherchait habituellement chez une femme.
- Bien, je dois partir, balbutia-t-il. Je vous souhaite de passer une bonne journée, Mademoiselle De Montfort ajouta-t-il cérémonieusement.
- Merci, vous aussi, Monsieur Forestier. L’ironie qui vibrait dans sa voix ne manqua pas de frapper Thomas, mais il s’abstint de tout commentaire supplémentaire. Mal à l’aise devant le regard posé sur lui, il grommela un vague au revoir et monta dans sa voiture, suivi de Déborah qui fit autant. Il attendit qu’elle ait attaché sa ceinture et démarré pour quitter à son tour le parking.
Le directeur de la galerie, Claude Barano, reçu Déborah avec gentillesse et lui expliqua ce qu’il attendait d’elle. Puis il la présenta au responsable artistique avec lequel elle était appelée à travailler en étroite collaboration, Marc Leblanc.
Dés le premier contact Déborah sentit qu’ils s’entendraient à la perfection. Son visage ouvert respirait la franchise, ses yeux bleus perçants, brillaient d’intelligence.
- Bienvenue au sein de l’équipe, dit Marc avec un sourire amical tout en lui serrant la main.
- Je suis vraiment contente de travailler ici, répondit Déborah.
- Ne vous en faites pas, Monsieur, lança Marc à Claude Barano, je me charge de sa formation.
Hum, c’est bien ce qui me préoccupe, répondit son supérieur, d’un air moqueur. Marc éclata de rire, puis il reprit.
- Voyons, vous allez l’effrayer !
- Je m’en voudrais, répliqua le directeur. Je ne dévoilerai donc pas ce dont vous êtes capable. Elle découvrira tout cela par elle-même.
- Merci, répliqua Marc en riant.
Pendant tout cet échange, Déborah avait fixé les deux hommes, stupéfaite, sans savoir que penser. Le Directeur du Centre, bien que charmant avait fait preuve d’un grand sérieux quand il l’avait reçue dans son bureau. Alors que devait-elle croire maintenant ? Plaisantait-il ? Comme s’il avait deviné son désarroi, Claude Barano se tourna vers elle.
- Bienvenue parmi nous, si jamais vous avez un problème, n’oubliez pas que ma porte vous sera toujours ouverte. Et ne vous laissez pas faire par lui, ajouta-t-il en désignant Marc. Il se prend pour un irrésistible séducteur. Puis sans prêter attention aux protestations de Marc, il quitta les deux jeunes gens.
- Sur un point, il a raison. Je suis très conscient de mon pouvoir sur le sexe faible, avoua Marc en lui décochant un clin d’œil.
- Au moins vous êtes franc, c’est la qualité que j’apprécie le plus chez un homme, plaisanta Déborah.
- En parlant de franchise, je vous trouve très agréable à regarder, dit-il sans complexe en détaillant la silhouette de sa nouvelle collègue, mais je préfère les blondes beaucoup plus pulpeuses.
- Désolée, dit Déborah, d’un ton léger.
- Je crois que nous allons bien nous entendre maintenant que nous avons mis les choses au point. J’aime votre style ! Avoua Marc.
- Et moi, le vôtre.
- J’en suis ravi, répondit-il en passant un bras amical autours de ses épaules pour l’entraîner vers une autre partie du Bâtiment. Venez, je vais vous faire visiter un lieu magique.
Dix heures plus tard, C’est un Thomas exténué et affamé qui gara sa voiture sur le parking de la résidence. Son estomac réclamait de la nourriture. Il s’était en effet contenté d’un sandwich avalé à la hâte vers une heure de l’après-midi. Depuis, il n’avait rien pris. Il était resté toute la journée sur les bords d’une rivière sauvage, où il pouvait observer une grande diversité d’oiseaux. Il avait installé son trépied pour éviter les flous, mais pour les prises de certaines vues, il s’était muni de son téléobjectif de 400 mm et grâce à la technique de l’approche, il avait réussi à photographier un groupe d’héron dans de bonnes conditions.
Maintenant, il éprouvait une lassitude et, devait encore décharger tout son matériel de la voiture. Quand il atteignit la terrasse, le claquement familier d’une porte attira son attention et il pivota. Déborah De Montfort se rendait certainement à une soirée branchée, elle était d’une élégance frappante. Thomas remarqua son air choquée devant sa tenue mais pour l’heure, il n’avait pas le courage de se disputer. Il ne rêvait que d’une chose, se glisser sous une bonne douche et il allait volontiers continué sa route sans un mot, mais la politesse le lui interdisait aussi lança-t-il, d’une voix lasse.
- Bonsoir, Mademoiselle De Montfort.
- Bon sang, ne put Déborah s’empêcher de répliquer, quand je vous ai dit que vous sembliez vêtu pour aller vous rouler dans la boue, je ne pensais pas que vous me prendriez au mot !
Ne pouvait-elle, pour une fois, se montrer un peu moins conformiste ? Pensa-t-il.
- J’ai photographié des oiseaux toute la journée, répliqua Thomas d’un ton sec.
- Photographier des oiseaux ? Vraiment, déclarait-elle enfin, sarcastique, très intéressant.
Cette fois, Déborah ne tenta pas de le retenir, elle s’écarta pour le laisser passer et le regarda s’éloigner.
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