13 juin 2009

Les lois du coeur - Retour aux sources (1)


Déborah leva la tête du livre qu’elle tenait entre ses mains pour observer les enfants qui jouaient dans le parc. C’était une belle journée d’automne, un doux rayon de soleil caressa son visage et elle sourit. Contre toute attente, un intense sentiment de joie lui apporta un relatif soulagement. C’était en effet la première fois depuis trois semaines qu’elle pensait à autre chose qu’à ses propres malheurs. Pendant ces années où Déborah habitait Oxford, elle avait eu le mal du pays sans s’en rendre compte et maintenant qu’elle se trouvait de nouveau à la maison, elle prenait conscience de son attachement à cet endroit qui l’avait vue grandir. Ce paysage familier parlait à son cœur et à ses souvenirs. Que de fois elle avait traversé le parc en vélo et rejoint son grand-père à l’auberge aux loups pour chercher le réconfort qu’il ne lui refusait jamais.
La jeune femme frissonna. La température qui régnait dans le parc était pourtant très agréable, mais l’air déjà vif des premiers jours du mois d’octobre réussissait à passer à travers son pull-over. Son grand-père lui manquait terriblement. Elle revoyait parfaitement le jour où, elle avait embarqué à bord du Ferry pour rejoindre l’université d’Oxford. Il était sur le quai, le visage noyé de larme de joie, devant le bonheur de Déborah et de tristesse à l’idée de ne plus la revoir. Il lui avait longuement fait des signes d’adieu. Et voilà que six mois plus tard, elle avait reçu un télégramme : son grand-père avait péri dans un accident de la route. Le choc avait été brutal pour la jeune fille, mais elle ne s’était jamais abandonnée au désespoir.
Cinq ans déjà, Déborah ferma les yeux un court instant, le souvenir de son grand-père, de son sourire affectueux, l’aidait à affronter les peines que la vie lui avait de nouveau réservé. Aujourd’hui, elle revenait sur les lieux de son enfance. D’ailleurs, depuis toujours, elle savait qu’elle reviendrait s’installer dans sa Normandie natale.
D’un pas léger, Déborah se dirigea vers la sortie du parc. La prochaine étape de ce pèlerinage vers son passé était la maison où elle avait grandit. Il ne lui fallut que quelques minutes pour arriver devant la demeure rustique qu’elle connaissait si bien. Elle observa avec émotion la façade familière avec ses fenêtres bordées de jardinières. Contrairement à ses craintes, rien n’avait changé. Elle se dirigea lentement vers l’entrée. Le cœur battant, elle tourna la poignée, s’attendant à trouver l’intérieur modifié, mais elle s’immobilisa, la salle à manger non plus n’avait pas subi aucune modification. Un instant, il lui semblait être revenue des années en arrière.
- Ce n’est pas possible ! Je n’arrive pas à croire mes yeux ! Déborah, c’est bien toi ? Mais bien sûr que c’est toi, tu n’as pas changé.
Ces mots tirèrent Déborah de ses réflexions mais, avant qu’elle ait pu réagir, elle se trouva dans les bras d’une femme aux cheveux grisonnant qui ne parvenait pas à dissimuler son émotion.
- Non, je n’arrive pas à y croire ! Répéta la femme lorsqu’elle relâcha un peu son étreinte.
- Tante Louise, s’écria Déborah. Je suis si contente de … Elle ne put finir sa phrase car tante Louise l’entraînait déjà vers la cuisine.
- Hector, viens voir qui nous rend visite, viens vite !
Un homme d’un certain âge, au visage doux et serein se tourna vers elles et s’immobilisa, interdit. Puis avec un sourire radieux, il s’avança vers Déborah, lui prit les mains et la détailla avec affection.
- Dieu tout puissant, c’est la petite qui est de retour. Tu aurais pu nous avertir, reprit-il d’un ton faussement fâché avant de l’embrasser.
- Alors, tu n’es pas content de me voir ? demanda Déborah en riant.
- Bien sûr que si, se défendit vivement Hector.
- Et moi aussi, renchéris Tante Louise sans pouvoir étouffer plus longtemps son enthousiasme.
- Es-tu simplement de passage, questionna oncle Hector, ou es-tu vraiment de retour ?
- Cette fois je compte m’installer définitivement, leur apprit Déborah.
A cette nouvelle, Ils ne purent réprimer un petit cri de bonheur. Ils l’avaient élevée en partie après la mort de ses parents et la considéraient comme leur enfant. Tout ce qui la concernait les touchait.
- Quelle merveilleuse nouvelle ! S’exclamait tante Louise. Justement Hector et moi parlions de toi ce matin.
- En bien, j’espère, la taquina Déborah avec malice.
- Evidemment, répondit tante Louise. Nous évoquions le bon vieux temps, quand nous étions tous réunis, nous, ton grand-père, toi, et Justine. Mais passons à autre chose. Raconte-moi plutôt ce que tu as fait ces derniers temps. Je craignais que tu ne reviennes pas dans la région puisque ton grand-père n’est plus de ce monde. D’ailleurs, à une époque, tu envisageais de rester en Angleterre non ?
- C’est vrai, avoua Déborah. Oxford est une belle ville et je m’y plaisais beaucoup, seulement j’avais besoin de retrouver mes racines … tu comprends ?
- Très bien, affirma tante Louise d’un ton approbatif.
Les deux femmes revinrent dans le salon et demeurèrent silencieuse un long moment.
- J’aimerais tant que Justine soit ici, soupira enfin sa tante.
- Moi aussi, renchéris Déborah.
- As-tu eu de ses nouvelles récemment ? La dernière carte postale qu’Hector et moi avons reçue date de six mois. Elle se trouvait alors dans une petite ville de l’Ontario. Je n’arrive pas à me souvenir du nom.
- Je sais de quelle ville il s’agit, mais elle est repartie depuis et maintenant elle est à Boston.
- A Boston ! s’exclama tante Louise d’une voix stupéfaite. Au fait, tu t’installes à la maison ?
- Non, ma tante. J’ai eu une proposition. Je pense que se sera parfait pour moi. Une de mes amies, ou plutôt la petite amie d’un ami, recherchait quelqu’un pour garder l’appartement de ses parents qui partent vivre quelque temps chez elle en Angleterre. Ils tiennent absolument à ce que quelqu’un prenne soin de leur intérieur, en contrepartie, ils ne me réclameront aucun loyer, juste les charges de copropriétés.
- Cela semble trop beau pour être vrai, s’étonna tante Louise. Je ne comprends pas comment dans de telles conditions, ils n’ont pas déjà trouvé quelqu’un.
- C’est qu’ils veulent une personne de confiance, expliqua Déborah. En fait, il ont un vieux chat, qu’ils adorent, le pauvre matou est à moitié aveugle. Le locataire devra s’engager à prendre soin de l’animal.
- Ah ! Je comprends mieux, dit tante Louise, une corvée !
- Je t’assure que non, ça ne me dérange pas, dit Déborah, et jamais je ne trouverais un loyer aussi intéressant ! D’ailleurs, je dois leur téléphoner pour annoncer ma visite.
La résidence où habitaient les parents de Charlotte était l’une des plus récentes et des plus luxueuses qu’on ait construites dans les environs. Lorsque Madame Simon l’eut introduite dans l’appartement, Déborah ne put s’empêcher de penser que le couple était complètement dérangé. Chaque pièce était encombrée d’une montagne de jouets pour chat.
- C’est notre enfant, dit Madame Simon d’une voix émue. Nous l’aimons beaucoup. Touchée par l’émotion réelle qu’elle décelait chez Denise Simon, Déborah modifia son premier jugement. D’un point de vue psychologique, un transfert d’affection sur un animal familier après le départ des enfants était un phénomène très commun.
- Voudriez-vous un café ou un thé ? Proposa gentiment Madame Simon avec un sourire affectueux. Déborah lui avait immédiatement plu et elle voyait en elle la personne de confiance qu’elle cherchait.
- Volontiers, je vous remercie.
Pendant que sa femme leur apportait le café, Monsieur Simon qui, jusque là n’avait pas participé à la conversation, expliqua à Déborah quelles seraient ses obligations.
- Il faudra changer la litière de Pimky, c’est le nom de notre chat, une fois par jour. Et veiller qu’il ait toujours de l’eau propre dans son bol.
- Nous avions d’abord envisagé de l’emmener avec nous, intervint sa femme, mais finalement nous y avons renoncé. Sa maison est ici et préférons le savoir dans son cadre familier, à condition de trouver une personne qui sache en prendre soin, quelqu’un comme vous. Accepteriez-vous de vous occuper de notre Pimky ?
- J’en serai très heureuse, Madame Simon, répondit sérieusement Déborah.
- Appelez-moi Denise, corrigea-t-elle.
- J’en serai ravie, Denise, répéta la jeune fille.
Déborah avait accepté l’hospitalité de tante Louise et ne retourna voir les Simon qu’une fois pour se faire remettre un double des clefs. Madame Simon recommanda à la jeune fille de se considérer comme chez elle pendant son absence. Après de nouvelles recommandations quant aux soins de Pimky, Denise Simon aborda un autre sujet lui tenait à cœur, son voisin.
- Un homme très étrange, confia-t-elle le plus sérieusement du monde à Déborah. Il a l’esprit un peu dérangé… et un caractère exécrable.
- Je l’éviterai autant que possible, promit Déborah en dissimulant un sourire amusé.
Le lendemain même de leur départ, Déborah chargea toute ses affaires dans l’auto de son oncle Hector et se dirigea vers la résidence. Une fois arrivée, elle alla se garer sur l’emplacement réservé aux Simon, le numéro des appartements correspondait à celui marqué sur le sol devant chaque place. Après quelques voyages éreintants, l’appartement du couple se trouverait au rez-de-chaussée surélevé et elle dut monter plusieurs fois la dizaine de marches qui conduisait à un palier servant de terrasse commune aux deux logements qui se faisaient face. Toutes ses affaires se retrouvèrent empilées au milieu de l’entrée.
Poussant un soupir de soulagement, Déborah décida alors d’explorer son nouveau logement. Elle disposait d’un salon, de deux chambres spacieuses, chacune pourvue d’une salle de bain attenante, d’une salle à manger et d’une cuisine équipée. Sur la table, un petit mot de Denise Simon lui recommandait de faire comme chez elle, de prendre soin de Pimky et de ne pas hésiter à vider le réfrigérateur. Puis, décidant qu’il était temps de défaire ses paquets, Déborah entreprit de transporter ses affaires dans la chambre d’amis.
© Texte protégé par les droits d'auteur