14 juin 2009

Les lois du coeur - Paradoxe (5)



Sur le chemin du retour, Déborah dévisageait Thomas, qui concentré sur la route ne se rendait compte de rien. Les lèvres pleines, dénotaient une sensualité profonde, bien que contradictoire. D’habitude, elle se faisait rapidement une opinion sur les hommes, mais Thomas l’intriguait. Comment expliquer ses revirements ? Un instant il était ouvert et amical, l’instant d’après, il se refermait sur lui-même, presque hostile. Que serait sa réaction s’il savait l’émotion qu’il provoquait en elle ?
Dans un grincement de pneu, il se gara sur son emplacement de parking, et à peine sorti du véhicule, monta les marches jusqu’à la terrasse à grands pas. Suivi par Déborah.
Il lui murmura un vague bonsoir et lui tourna le dos pour rentrer chez lui.
- Thomas !
Il s’immobilisa à regret, puis pivota lentement.
- Que diriez-vous d’un bon café ?
- Non merci, répondit-il, d’un ton neutre.
- Pourquoi ? Il me faudrait qu’une minute pour le préparer, insista-t-elle.
Comme il ne répondait pas, elle avait envie de le provoquer et de briser sa froideur.
- En fait, je commence à partager l’opinion des Simon à votre sujet, ils ont dit que vous étiez le pire des voisins.
- Les Simon sont des fous qui devraient être internés, riposta Thomas, gagné par la colère.
- Ce sont des gens très gentils, décréta Déborah avec agressivité.
- Je n’ai jamais prétendu qu’ils n’étaient pas gentils, se défendit-il.
- C’est ce que vous avez suggéré en tout cas !
- Non !
Fort énervée, Déborah lui jeta un regard méprisant. Elle lui jeta un ton dédaigneux.
- Comptez-vous passer la nuit ici ?
- Et pourquoi pas ? Riposta-t-il vivement.
- Dans ce cas faites-le ! Folle de rage, elle lui tourna les talons et rentra chez elle en claquant la porte derrière elle.

Pendant des heures, Déborah s’agita dans son lit sans trouver le sommeil, encore furieuse au souvenir de l’air supérieur et condescendant de Thomas. Pourtant il lui plaisait terriblement, devait-elle se l’avouer.
Le lendemain, dés son réveil, toutes ses pensées reviennent vers lui. Malheureusement, Thomas demeura invisible. Une fois sur le parking, elle découvrait que sa voiture n’était plus là, il avait dû partir très tôt, où alors c’était-elle qui était en retard.
En voyant les cernes sous les yeux et son air sombre, Marc se garda de toute plaisanterie de mauvais goût. Il devinait qu’il s’était passé quelque chose. S’il espérait recevoir ses confidences, il fut déçu, car Déborah ne souffla mot de ce qui la tourmentait et Marc respectait son silence.

Toute la semaine, elle déploya son énergie à l’organisation de l’exposition de Samot, tant pour faire valoir ces qualités professionnelles que pour tenir son esprit occupé. Quand arriva le jour du vernissage, Déborah se prépara avec le plus grand soin. Elle choisit une robe en mousseline qui s’accordait merveilleusement à la nuance de ses prunelles et se maquilla avec style. Quand elle s’examina dans la glace, elle fut satisfaite du résultat. Oui, elle comptait bien impressionner Thomas.
Quand les premiers invités arrivèrent, elle afficha une décontraction factice qui se transforma bientôt en gaîté véritable sous l’effet de plusieurs coupes de champagne.

Thomas était venu en compagnie de son modèle, Ella Lazaro, elle le dévorait littéralement du regard, et à chaque fois qu’il lui souriait, elle paraissait sur le point de se pâmer. En traversant la salle, Déborah percevait l’écho de leur voix. Soudain, en entendant prononcer son nom, elle s’immobilisa, le cœur battant.
- Ta voisine ? disait Ella de sa voix détachée, elle est si impulsive, si gamine que je la trouve pathétique !
La voix de Thomas résonna à son tour.
- C’est une jeune femme snobe et irréfléchie, sûrement le résultat de sa formation en Angleterre. Avec de grandes qualités professionnelles, faut le reconnaître !
Il avait parlé d’un ton si froid et si détaché que Déborah sentit les larmes lui piquer les yeux.
- Pourquoi ces grands yeux tristes, Déborah ? S’enquit Marc, en observant la jeune femme avec attention. Ne sois pas inquiète, tu as fait du très bon boulot !
- Comme c’est gentil à toi ! Dit Déborah d’un sourire timide.
Marc avança d’un pas, prit Déborah par le bras.
- Allons rejoindre notre grand artiste, ajouta-il en se dirigeant vers Thomas.
Pendant toute la discussion, Déborah demeura très silencieuse, les yeux baissés, elle s’efforçait de ne pas regarder Ella, dont l’éblouissante beauté lui rappelait trop cruellement la femme qu’elle avait trouvé dans le lit de Colin. Elle s’était pourtant efforcée de ne pas penser à lui ces dernières semaines, mais en voyant Ella, elle mesurait combien sa blessure était encore vive.
Ces pensées furent de courtes durées, car Thomas qui la dévisageait sans aménité, lui dit d’une voix neutre.
- Votre réception est très réussie !
- Merci, Monsieur, murmura-t-elle, oubliant dans son émoi, de l’appeler par son prénom. Elle vit son visage se durcir, mais Thomas ne releva pas.
- Excusez-moi, je vais m’assurer que tout ce déroule correctement, déclara-t-elle froidement en s’élançant vers le buffet.

Son hilarité redoubla lorsque Marc dut la soutenir pour gravir les marches menant à la terrasse de son appartement et l’aider pour introduire la clé dans la serrure. Elle se sentait déchargée de tout souci et n’avait pas conscience d’avoir bu plus que de coutume.
- Je vais très bien, assura-t-elle à Marc, qui s’inquiétait de son état. Je n’ai jamais été aussi bien de toute ma vie.
- J’en suis sûr ! Affirma-t-il en riant, tandis qu’il la guidait jusqu’au canapé. Tu es belle et bien soûle, ajouta-t-il. Tu devrais aller te coucher sur-le-champ.
- Oh non, je n’ai pas sommeil du tout, protesta Déborah.
- Suis quand même mon conseil, insista Marc avant de l’embrasser sur le front et de repartir.

Déborah continua à rire pendant un moment, mais petit à petit son état d’esprit changea et une immense tristesse l’envahit. Ses yeux s’embrumèrent et de grosses larmes roulèrent sur ses joues. Dans de gestes rageurs, elle essuya ses larmes puis elle tenta de se lever. Curieusement, ses jambes refusèrent de lui obéir, et elle dut s’agripper aux meubles pour y arriver. Puis elle se dirigea vers la porte d’une démarche hésitante, l’ouvrit et traversa la terrasse en direction de l’appartement de Thomas.
Les yeux grands ouverts dans le noir, Thomas fixait le plafond de sa chambre en attendant que le sommeil vienne, quand le bruit d’un coup frappé à la porte le fit sursauté dans le lit. Comme les coups continuaient, incessants, il se leva, passa sa robe de chambre et se dirigea vers l’entrée. Les lèvres serrées par la contrariété, il tourna la poignée, prêt à laisser éclater sa colère.
Pourtant aucun des reproches qui lui venaient à l’esprit ne franchirent ses lèvres. Déborah oscillait devant la porte, ses yeux qui tout d’abord le fixaient d’un air accusateur s’emplissaient rapidement de larmes.
- Déborah, que s’est-il passé ? S’inquiéta-t-il.
Sans prendre le temps de réfléchir, il l’attira vers l’intérieur et referma la porte derrière eux. Déborah demeurait silencieuse, se contentant de le regarder sans paraître vraiment le voir.
- Voyons, dites-moi ce qui s’est passé ! dit-il en la secouant.
Déborah ravala ses larmes et tenta de dégager son bras car les doigts de Thomas étaient incrustés dans sa chair.
- Lâchez-moi, vous me faites mal, se plaignit-elle. Vous, vous n’êtes qu’une brute !
Sous le coup de la stupeur, Thomas ne sut que répondre. Il resta immobile tandis qu’elle ajoutait.
- Oui, vous êtes un homme sans cœur !
Lentement, il lui relâcha son bras, et il remarqua alors qu’elle vacillait.
- Pourquoi me dites-vous cela ? demanda Thomas brusquement surpris.
- Parce que, parce que vous ne m’aimez pas ! Expliqua-t-elle d’un ton tout à la fois accusateur, interrogateur et suppliant.
Adossé au mur Thomas la dévisagea gravement et conclut posément.
- Vous êtes ivre.
- Non, ce n’est pas vrai ! Protesta-t-elle.
- Rentrez chez vous.
- Oh non, je suis venue ici dans un but précis, et je ne partirai pas avant de… avant de … elle hésita, puis, pas avant de vous avoir dit tout ce que je veux vous dire, reprit-elle d’un ton grave.
- Cela peut attendre demain !
- Non, non, cela ne peut pas attendre, avançant d’un pas, elle empoigne les revers de sa robe de chambre.
- Vous le saurez maintenant, je ne suis … je ne suis pas snobe ! Brusquement, ses doigts se crispèrent et l’instant d’après, elle glissait lentement vers le sol, et sans la présence d’esprit de Thomas qui encercla sa taille, elle serait tombée.
- Déborah ! Appela-t-il d’un ton agacé, avant de remarqué qu’elle dormait profondément sous l’effet de l’alcool et rien ne la réveillerait.
- Il ne me manquait plus que cela ! dit-il d’un ton rageur. Jurant tout bas, il la souleva dans ses bras traversa la terrasse à grands pas. Il n’avait qu’une pensée, la ramener chez elle le plus vite possible et ne plus la voir.
Arrivée devant sa porte, il tenta de tourner la poignée, en vain. Il essaya à nouveau mais celle-ci refusa de s’ouvrir. Il reprit Déborah dans ses bras, traversa la terrasse dans le sens inverse et regagna son appartement. Une fois dans le salon, il la déposa sur le canapé. Elle va devoir passer la nuit ici. Il commença à défaire ses sandales et ramena une couverture sur elle.
Il la dévisagea longuement. Endormie, elle ressemblait à une enfant fragile et vulnérable qu’on aurait envie de choyer et de protéger.

- Allons ! Réveillez-vous. Déborah, réveillez-vous, il est très tard !
Ces mots, prononcés d’une voix amicale, parvinrent finalement jusqu’au cerveau de la jeune femme et, avec bien de difficultés, elle ouvrit un œil. La pièce ne lui était pas familière, malgré la confusion de son esprit, la veille elle était partie du vernissage avec Marc. Se trouvait-elle chez lui ? Non, elle avait pourtant le vague souvenir que Marc l’avait accompagnée chez elle.
- Allez, debout !
Sa vision était floue, plissant les paupières, elle reconnut enfin Thomas.
- Comment, vous ! s’exclama-t-elle indignée.
- Oui, moi répondit Thomas avec un sourire amusé.
Déborah tenta de se lever mais son corps semblait de plomb et sa tête retomba sur l’oreiller.
- Oh, gémit-elle, en ce tenant le front. Qu’est que …. Qu’est ce que je fais ici ? dit-elle enfin d’une petite voix.
- Vous êtes venue chez moi ! Vous aviez quelque chose à me dire, complétât-il.
- Ah, vraiment ? fit-elle, tout en fouillant dans sa mémoire. Il lui semblait bien se souvenir de quelque chose mais c’était encore confus.
- Mais vous n’avez pas eu le temps de vous expliquer, pas totalement en tout cas. Vous vous êtes endormie avant.
Le ton ironique qu’elle distinguait dans sa voix l’aurait, en toute autre circonstance, mise en colère et elle aurait réagi avec sa vivacité coutumière. Mais comme elle se sentait incapable d’engager une dispute, elle se contenta de demander avec prudence.
- Qu’entendez vous par pas totalement ?
- Et bien, vos propos n’étaient pas très cohérents. Vous m’avez reproché de ne pas vous aimer.
- Oh, mon Dieu ! C’était encore pire que ce qu’elle avait craint.
Déborah aurait souhaité pouvoir s’enfuir, et rassemblant toutes ses forces, elle se leva du canapé.
- Vous savez, dit-elle avec autant de désinvolture que possible, je ne supporte pas l’alcool. Un verre suffit à me tourner la tête. Evitant de le regarder, elle ajouta avec une timidité enfantine.
- C’est sans doute le reproche le plus drôle qu’on vous ait fait.
- Je dois le reconnaître, répondit-il calmement.
- Je suis vraiment désolée, s’excusa-t-elle. Je vous promets de ne plus vous importuner à l’avenir.
Leurs regards se croisèrent et restèrent rivés l’un à l’autre. Le rimmel de Déborah avait coulé mais elle était toujours aussi jolie. Dans un élan, il la prit dans ses bras et ses lèvres s’emparèrent des siennes avec passion. Le cœur battant à tout rompre, elle s’abandonna à son étreinte sans retenue et lui rendit son baiser avec la même flamme.
Ils se fixèrent en silence pendant une longue minute, stupéfait par ce qui venait de ce passer. Déborah ne souhaitait qu’une chose, sentir à nouveau ses lèvres sur les siennes, mais Thomas la repoussa doucement.
D’une main tremblante, elle remit de l’ordre dans ses cheveux. Thomas aurait voulu dire quelque chose, lui-même était terriblement troublé, pourtant, il ne voulait pas le lui révéler. Il devait absolument trouver un moyen de se tirer d’embarras. Il se força à rire et murmura.
- Avez-vous maintenant la réponse à votre question ?
Déborah ne répondit pas immédiatement. Lentement, elle recouvrait ses esprits.
- Quelle question ? Parvint-elle enfin à balbutier avec un sourire contraint.
- Celle que vous m’avez posée hier.
- Oui ! L’interrompit-elle d’un ton mordant. C’est parfaitement clair.
- Je ne sais pas ce qui s’est passé, commença Thomas.
- Moi, j’ai beaucoup aimé cela, dit-elle, en le fixant droit dans les yeux.
Le silence retomba entre eux. Pour masquer sa déception, Déborah baissa la tête et se dirigea vers la porte. Thomas fut bien tenté de la prendre dans ses bras, mais il se contenta de dire.
- Cela ne marcherait pas, Déborah.
- Qu’est ce qui ne marcherait pas ? dit-elle, dans un souffle.
- Ceci, nous ! Jeta-t-il d’une voix lasse. Vous savez bien que rien n’est et ne sera jamais possible entre nous. Nous sommes trop différent l’un de l’autre.
- Voudriez-vous me faire croire que vous n’avez pas aimé ce que nous venons de faire ? dit-elle, en sentant la colère monter en elle. Et elle ne put s’empêcher d’ajouter.
- Je suppose que vous préférez les baisers d’Ella ?
- En effet, elle me convient parfaitement, riposta-t-il pour la choquer.
- Il y a pas de quoi s’en vanter ! répliqua-t-elle sèchement.
- Je n’avais pas l’intention de vous blesse, déclara-t-il d’un ton neutre. Ce qui est fait est fait, mais je veillerai à ce que nous ne reproduisions plus cette erreur.
- Thomas ? Murmura-t-elle.
- Je vous saurais gré de partir maintenant, fit-il de façon impersonnelle.
Ces derniers mots décidèrent Déborah à partir. Elle n’avait pas l’habitude de s’imposer lorsque sa présence n’était pas désirée.